THYL L’ESPIEGLE

« Thyl l’Espiègle », adapté par Dino Battaglia, est une bande dessinée remarquable qui donne vie à un personnage emblématique du folklore germanique, Thyl Ulenspiegel. L’ouvrage se distingue par son atmosphère unique, sa richesse graphique et sa portée littéraire. Il s’agit d’une œuvre majeure dans la carrière de Battaglia, l’un des plus grands maîtres de la bande dessinée européenne, célèbre pour son style poétique, son travail subtil des ambiances et sa capacité à mêler illustration et narration avec une rare élégance.

Le personnage de Thyl Ulenspiegel (ou Tijl Uilenspiegel en flamand) est une figure de la littérature populaire, apparue au XVIe siècle, et qui s’est vite imposée comme un symbole de ruse, d’irrévérence et de résistance face à l’autorité. Tour à tour bouffon, provocateur et héros populaire, Thyl parcourt les Flandres sous l’occupation espagnole et se sert de son esprit moqueur et de son ingéniosité pour dénoncer les abus du pouvoir et ridiculiser les oppresseurs. Le personnage a traversé les siècles et les frontières, inspirant écrivains, poètes et artistes.

Dino Battaglia s’est emparé de cette légende dans les années 1970 pour en livrer une adaptation magistrale, fidèle à l’esprit du conte mais profondément marquée par sa propre sensibilité artistique. Parue d’abord en feuilleton dans la presse, notamment dans le magazine Il Corriere dei Piccoli, puis éditée en album, cette bande dessinée est souvent considérée comme l’un des sommets de son œuvre.

L’histoire suit les pérégrinations de Thyl dans un monde à la fois réaliste et onirique, où la brutalité de l’époque côtoie une certaine légèreté propre à la figure du trickster — cet anti-héros malin qui se joue des puissants. Le contexte historique est sombre : celui des Pays-Bas espagnols au temps de l’Inquisition. Les villages flamands vivent sous la domination féroce de l’armée espagnole et de l’Église. Dans cet univers, Thyl devient le porte-voix de la résistance populaire, moquant l’aveuglement des dogmes et les abus des soldats et des seigneurs.

Ce qui distingue particulièrement cette bande dessinée, c’est le trait exceptionnel de Dino Battaglia. Il travaille en lavis, une technique qui donne à ses planches une texture et une atmosphère très particulières, presque picturales. Son dessin privilégie les jeux d’ombres et de lumières, la suggestion plus que la démonstration, ce qui donne à l’ensemble une profondeur presque mélancolique, une poésie visuelle envoûtante. Les visages sont expressifs, les paysages chargés d’émotion, oscillant entre le réalisme historique et une ambiance fantastique discrète mais présente.

Battaglia choisit d’adopter un rythme narratif lent et contemplatif. Chaque case semble pensée comme une illustration indépendante, renforçant la sensation d’immersion dans un univers de légende. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée où l’action prime, mais plutôt d’un récit où la force des images dialogue en permanence avec le texte. Les dialogues sont peu nombreux, les silences éloquents. Les planches regorgent de détails : costumes, architectures, expressions des personnages, jusqu’aux variations subtiles de la lumière qui traduisent l’émotion de chaque scène.

Le ton de l’œuvre est ambivalent, entre ironie et tragédie. Si Thyl est espiègle, vif, drôle et attachant, le monde qui l’entoure est brutal, souvent cruel. La violence politique, religieuse et sociale est omniprésente, et Battaglia ne cherche pas à l’édulcorer, mais plutôt à la suggérer par des ambiances sombres, des décors oppressants, et des situations poignantes.

Au-delà de l’aventure historique, « Thyl l’Espiègle » est aussi une réflexion sur la liberté, la révolte et l’humanité face à la barbarie. Le personnage incarne le refus de la soumission et la défense d’un certain humanisme, par le rire, l’intelligence et la ruse. Il s’oppose à la brutalité par la dérision, au fanatisme par l’humour, à l’autoritarisme par la malice.

Dino Battaglia, avec cette adaptation, démontre toute l’étendue de son art, tant par la beauté plastique de ses planches que par la profondeur humaniste de sa lecture du mythe. Il ne propose pas simplement un récit d’aventure, mais une véritable méditation visuelle sur la condition humaine, sur la résistance à l’oppression et sur le pouvoir subversif de l’humour.

En somme, « Thyl l’Espiègle » est une œuvre qui dépasse le cadre de la bande dessinée classique, se situant à la croisée du conte populaire, de la fable philosophique et de l’œuvre d’art. Une lecture essentielle pour tout amateur de BD, d’histoire et de belles images.

Grands dessinateurs italien, Dino Battaglia, a  adapté en BD, des grandes oeuvres telles que “Gargantua et Pantagruel, Ivanhoë + la flèche noire, ou encore Moby Dick”. Il a travaillé aussi sur Corto.

Sur le site :  https://bdoccasion.com

Source argus, BDM 2025/2026 :  http://www.arenes.fr